Antoine GUTMANN

Associé

Dossier du moment

ÉTUDE

Étude sur les Directions de la Transformation : Résultats et Bonnes Pratiques

ARTICLE

Publié le

Contexte et enjeux de l’expertise à distance pour les assureurs

Partager

L’expertise à distance, vecteur de productivité et bénéfice client

L’expertise à distance (EAD) est une pratique qui consiste à évaluer un risque assurable ou un dommage suite à un sinistre sans recourir à la présence physique d’un expert, en capitalisant sur les technologies digitales (ex. échange numérique de photos, visio-conférence, lunettes connectées, drones avec caméra embarquée).

Les premières initiatives de ce genre sont apparues au début des années 2000, dans le secteur automobile pour l’évaluation de dommages. Son usage s’est alors progressivement généralisé au cours des dernières années : aujourd’hui les principaux assureurs (ie. Covea, Allianz, Generali, Solly Azar) proposent ces services avec des applications permettant à l’assuré d’évaluer un sinistre en direct avec une plateforme d’experts par simple échange de photos.

Maîtrise des coûts, gains de productivité, simplification des processus et amélioration du service délivré à l’assuré constituent les principaux leviers du développement de cette pratique. En effet, les assureurs y voient un moyen :

  • D’améliorer leur productivité en réduisant le coût unitaire de gestion pour les sinistres d’ampleur réduite mais représentant un volume significatif,
  • De réduire le délai de traitement des dossiers de sinistre, la durée d’immobilisation des actifs assurés et d’accélérer l’indemnisation, améliorant ainsi la valeur délivrée à l’assuré,
  • De développer la logique de self-care pour les assurés et de s’adapter aux nouveaux usages digitaux et aux attentes fortes des utilisateurs.

Cependant le champ d’application de l’EAD va bien au-delà du secteur automobile. Les techniques mises en œuvre peuvent aisément s’appliquer à d’autres domaines tels que l’habitation, la construction, l’assurance professionnelle, l’évaluation des risques spéciaux (ex. plateforme pétrolière, centrale nucléaire) ou encore à la santé. Par ailleurs, ces techniques sont à l’origine essentiellement centrées sur l’évaluation et la prise en charge de la réparation de dommages mais elles peuvent également renforcer la connaissance et l’étude d’un risque dans les phases amont de découverte.

Des changements profonds induits à la fois pour les experts et les assureurs

La mise en place de services d’EAD change radicalement le métier de l’expert et impose la mise en place d’un nouveau modèle opérationnel ainsi que des compétences spécifiques à développer :

  • Une réduction du nombre d’experts déployés sur le terrain et un regroupement des équipes sur des plateformes centrales impliquant une restructuration du réseau physique,
  • De nouveaux outils et techniques à maîtriser (ex. techniques d’analyse d’image numérique, pilotage de caméra à distance, nouvelles sources de données à intégrer dans les modèles d’évaluation) impliquant un accompagnement et des besoins en formation de ces populations,
  • Une transformation du mode de relation avec l’assuré (ie. digitalisation des échanges) et des modalités d’interaction à maîtriser pour garantir la satisfaction client et la qualité de service (ie. équilibre entre échange digital et humain pour maintenir une relation de confiance et de proximité entre l’assuré et l’assureur, vigilance quant à la démultiplication des canaux utilisés pour assurer la clarté des différents parcours utilisateurs).

Pour les assureurs, il s’agira essentiellement d’adapter leur stratégie multicanale et la communication afférente et d’ajuster leurs procédures internes de gestion (modalités d’indemnisation, règles et processus de souscription, etc..).

Des contraintes réglementaires, techniques et de sécurité qui restent à lever

Plusieurs freins limitent encore le développement de l’EAD :

Sur le volet réglementaire, la protection de la vie privée et la sécurité des données sont des éléments incontournables à prendre en considération dans les solutions techniques envisagées. Des contraintes spécifiques liées à un secteur ou une technologie existent par ailleurs (ex. obligation d’une intervention physique d’un expert en cas de sinistre Auto impactant les organes de structure ou de sécurité du véhicule ou les exigences en matière d’autorisation de vol et d’accréditation des pilotes pour l’utilisation de drones dans un cadre professionnel),

Sur le volet technique, la qualité et résolution de l’imagerie, la capacité d’échange de données ou encore l’autonomie des engins constituent des facteurs limitants à cette pratique,

Enfin sur le volet sécuritaire, le risque de fraude (ex. fausse déclaration, images non conformes, piratage de drones) constitue un des principaux freins pour les assureurs, d’autant plus prégnant lorsque les montants engagés sont importants. A noter toutefois que les outils de plus en plus puissants de détection de la fraude permettent de limiter en partie ce risque.

Des niveaux de maturité hétérogènes dans les différentes branches de l’assurance :

Historiquement, le secteur automobile apparaît comme le plus avancé dans le domaine avec une multiplicité d’offres et de services d’expertise innovants proposés par les assureurs grâce à l’apparition de nouvelles technologies :

Des applications mobiles et plateformes web permettant à l’assuré de prendre les photos des dommages, de les transmettre à une plateforme, et d’être redirigé vers un réparateur agréé (ex. « Covisioto » de Covéa, « Autofocus » de Generali),

Des outils de communication digitaux, permettant à l’assuré ou à un prestataire (réparateur ou assisteur) de dialoguer en direct avec un expert (ex. solution de téléconférence « Votre expert connecté » d’Allianz) tout en géolocalisant le lieu du sinistre pour lutter contre la fraude (ex. application « Glassistance » de BPCE basée sur la technologie des lunettes connectées, permettant à l’assuré d’être guidé pas à pas par un expert dans la rédaction de son constat auto),

Une auto connectée permettant à l’assureur de vérifier la prudence de la conduite d’un conducteur pour le faire bénéficier d’une offre assurantielle personnalisée (ex. service « YouDrive » de Direct Assurance basé sur la combinaison d’une puce Drivebox et d’un accéléromètre, application « Allianz Conduite Connectée » basée sur la récupération de données d’un TomTom),

Des logiciels performants d’évaluation de sinistre permettant aux réparateurs d’automatiser la réalisation de leurs devis via un ensemble de règles et de critères préalablement validés avec l’assureur (ex. « Chiffrage autonome de réparateur » par Covéa).

Plus récemment en France, dans l’évaluation de risques de grande ampleur (zones sinistrées suite à une catastrophe naturelle, sites industriels à l’accès difficile ou présentant un danger), les assureurs tels qu’Axa ou Allianz ont développé l’utilisation de drones, intégrant des caméras et des capteurs divers (ex. domotique, olfactif, laser, infrarouge). Déjà très utilisés par les assureurs américains, ces aéronefs modulables servent à parcourir des zones très étendues et recueillir des informations utiles à la gestion globale de leur risque. Ils sont utilisés principalement pour :

  • Etablir des plans de prévention (surveillance de zones dangereuses),
  • Mieux évaluer les risques en amont de la souscription (vision plus précise de l’état d’une installation ou d’un bâtiment),
  • Estimer l’ampleur d’un sinistre de grande envergure sur des sites difficiles d’accès afin de mettre en œuvre au plus vite les mesures conservatoires et provisionner les montants d’indemnisation (modélisation des sites endommagés pour faciliter la reconstruction des zones sinistrées),
  • Lutter contre la fraude (détection de nombreuses constructions illégales).

Dans le secteur de l’habitation, des initiatives apparaissent également avec des assureurs tels que Solly Azar et Allianz, qui proposent dans leurs polices MRH des services d’accès à un expert par visio-conférence en cas de sinistre pour guider l’assuré dans l’évaluation de son dommage dans une logique de self-care.

Par ailleurs, on constate que les assureurs investissent de plus en plus dans des solutions de prévention de l’habitat en proposant des équipements en objets connectés et capteurs divers (ex. analyse du taux d’humidité, taux de déperdition d’énergie, alerte intrusion) pour prévenir l’occurrence de sinistres. Mais ces avancées dans le domaine de la domotique pourraient également servir l’expertise dans la mesure où elles donnent accès à de nouvelles données utiles à l’assureur, par exemple pour réaliser un diagnostic à la suite d’un sinistre (identification de l’origine, engagement de la responsabilité).

Enfin d’autres secteurs tels que l’assurance d’objet, l’assurance professionnelle ou encore l’assurance construction sont encore peu équipés de solutions d’expertise à distance et constituent donc des domaines à explorer.

Les perspectives futures de l’expertise à distance :

L’introduction de technologies toujours plus performantes

Le fait d’être en capacité de proposer de manière réactive des services alignés sur les technologies à disposition des clients finaux présente un enjeu important pour les assureurs en termes d’image, de positionnement et de rentabilité (ex. capture de données vocales, images à haute définition, flux de données avec des objets connectés).

A cet effet, les assureurs pourront soit faire le choix de concevoir et mettre en œuvre de nouveaux services, soit s’appuyer sur des partenariats avec des Start-ups ayant développé des solutions spécifiques clé en main. D’ailleurs la plupart des assureurs se dotent déjà de moyens pour être en capacité d’innover en expérimentant de nouvelles technologies qui constitueront le socle des services de demain : création de laboratoires d’innovation (ex. Cardif Lab’, Axa Innovation Lab), incubateurs (ex. « Riviera » d’Allianz), organisation de challenges d’open innovation (ex. « Habitat Connecté » de Covéa) et prise de participation dans des start-ups.

Des processus de plus en plus intégrés pour délivrer plus de valeur à l’assuré

Pour accroitre encore la valeur ajoutée des solutions d’expertise à distance, celles-ci peuvent encore se développer autour de deux axes :

Repousser les limites technologiques des solutions actuelles pour accroître la profondeur des analyses et étendre le champ d’application de ces techniques, avec par exemple :

  • L’amélioration des logiciels d’analyse photographique qui devra permettre d’affiner la qualification d’un dommage, accélérer le processus et traiter des cas de plus en plus complexes,
  • L’augmentation de l’autonomie des drones qui ouvrira la voie vers des systèmes de surveillance de sites en continu 24h/24.

Mieux connecter et intégrer les technologies et services actuels pour offrir aux assurés une expérience homogène et fluide sur l’ensemble de la chaîne de valeur, avec par exemple :

  • L’envoi de photos pour analyse et chiffrage automatisé des dommages suivis du paiement immédiat de l’indemnité dans le cas de sinistres automobiles simples,
  • La mise à disposition de coffre-fort électronique permettant à l’assuré de sauvegarder les justificatifs de biens mobiliers (photos, tickets d’achat), authentifiés par un expert, et déclenchant un remboursement automatique en cas de dommage (incendie ou vol),
  • L’intégration de prestations d’assistance directement activables lors de la déclaration d’un sinistre (ex. activation depuis l’application de l’assuré d’un service de dépannage géolocalisé et identification du partenaire le plus proche pour obtenir un véhicule de remplacement, ou en cas de dommage corporel, un service d’orientation vers le centre de soins le plus proche).

Sur ce second point, les assureurs pourront s’appuyer sur des partenaires en mesure de couvrir une partie de ces activités. Certains partenariats existent déjà notamment dans l’assurance automobile avec des réseaux de réparateurs agréés (ex. CapsAuto détenu à 15% par Allianz et Pacifica ou le réseau Assercar qui dessert des acteurs tels que Thélem assurances, Sogessur, Aviva et Generali, …). Mais d’autres partenariats pourraient voir le jour par exemple avec des constructeurs automobiles pour développer des solutions utiles à l’assureur (ex. capteurs de données de conduite, logiciel d’autodiagnostic en cas de panne) qui permettront d’améliorer plus encore les processus embarquant de l’expertise.

Dans d’autres domaines de l’assurance, l’éventail des partenariats possibles est également très large (ex. professionnels du bâtiment, experts de l’évaluation de biens, spécialistes du paiement).

Vers plus d’anticipation et de prévention

L’expertise, qu’elle soit opérée à distance ou en physique, reste au cœur du métier d’assureur car elle constitue un élément incontournable de la gestion des risques et des garanties offertes aux assurés. Mais progressivement, les assureurs décalent leur modèle pour se positionner en tant qu’agent d’évitement du risque. A ce titre, de nouvelles technologies apparaissent permettant une meilleure prévention des risques (ex. capteurs embarqués, systèmes de télésurveillance, objets connectés) et les assureurs devront développer et adapter leurs modèles d’expertise pour exploiter au mieux ces nouvelles sources de données (ex : alertes en temps réel, analyse prédictive de comportement).

Auteurs : Antoine GUTMANN

Antoine GUTMANN

Associé

Dossier du moment

ÉTUDE

Étude sur les Directions de la Transformation : Résultats et Bonnes Pratiques

Les contenus associés